Contribution thématique féministe pour l’abolition de la prostitution – Congrès de Toulouse du PS Octobre 2012

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Le sujet de la prostitution divise l’ensemble de la société. Une grande majorité de nos camarades ne sait pas non plus comment se positionner. Devant cette problématique en effet complexe, qui va bien au-delà du sujet d’ordre sociétal, il nous a semblé indispensable d’utiliser la tribune offerte par notre prochain Congrès.

Certes, l’actualité récente s’est emparé de la question. Cependant, les polémiques enflammées qu’elle a réactivées nous prouvent que la société perçoit bien les enjeux immenses sous-jacents (le rapport à l’autre, la marchandisation de tout, la domination patriarcale, la misère totale, la conception du travail et du rapport sexuel, la perception des femmes et des faibles…).

Elles prouvent aussi que le débat sur tous ces enjeux n’a pas été suffisamment développé. Elles prouvent enfin qu’un immense chantier pédagogique est devant nous, nous, militantes et militants socialistes féministes abolitionnistes, nous, Parti Socialiste moteur dans l’émancipation de toutes et de tous.

Cette contribution thématique veut y participer dans le but de :

1.       Défendre avec force la position abolitionniste du PS en matière de prostitution
2.       Clarifier notre conception et notre rapport à la prostitution pour mettre un terme à l’hypocrisie : la prostitution est un fait politique et ne relève pas de l’intime
  • Dans les faits
  • Dans le droit
3.        Réaffirmer que la prostitution est une violence totale qui s’exerce sur les plus faibles
4.        Exiger qu’à ce titre, la prostitution soit combattue fermement et avec cohérence
  • En posant un interdit législatif qui participe de la transformation des mentalités et qui soit le socle d’une loi-cadre
  • En l’intégrant dans une politique transversale ambitieuse

Vous pouvez aussi télécharger la contribution en format PDF ici

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Par cette contribution thématique nous soutenons le volontarisme affiché de Madame la Ministre des Droits des Femmes en matière d’abolition de la prostitution.

Nous souhaitons que notre parti, le Parti Socialiste confirme cette position ambitieuse d’autant plus fermement que d’une part, elle s’inscrit dans la lignée des travaux thématiques ayant conduit à notre programme présidentiel et que d’autre part, des polémiques grandissantes tentent aujourd’hui de la délégitimer.

  1.       DEFENDRE LA POSITION ABOLITIONNISTE DU PARTI SOCIALISTE

 La position abolitionniste du PS en matière de prostitution…

  • Avril 2011 Rapport public de la mission d’information de la commission des lois sur la prostitution auquel Danielle Bousquet, députéE PS a largement œuvré et réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution.
  • Novembre 2011 Convention Egalité Réelle : Partie 5 « Pour les socialistes, il ne peut y avoir d’égalité entre les sexes tant que l’achat et la vente du corps d’un être humain sera organisé »
  • Janvier 2012 Projet pour la Présidentielle : « Nous combattrons l’exploitation commerciale de la personne humaine par le vote d’une loi qui attaquera le système de la prostitution »

… sous la menace de déstabilisations diverses

Tout sujet complexe est clivant et des groupes de personnes poursuivant pourtant des buts radicalement opposés parviennent souvent à se rejoindre sur d’étonnantes conclusions. A l’inverse d’autres partageront les mêmes finalités tout en divergeant sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. Complexe, la question de la prostitution n’échappe pas à cette dichotomie.

Les abolitionnistes et les non-abolitionnistes se trouvent là aussi dans tous les groupes constitués, y compris au sein du mouvement féministe. Nous, militantes abolitionnistes du Parti Socialiste, ne nierons pas le sentiment de conflit de loyauté que cela engendre : des féministes s’opposent à d’autres féministes dans le même but de défendre les droits de toutes et de tous.

Cependant, pour dépasser ce paradoxe, nous devons nous attacher aux faits, à la réalité de ce qu’est la prostitution. En effet, les ressorts de notre combat ne se trouvent pas dans une quelconque morale puritaine que nous souhaiterions imposer.  Au contraire.

Il s’agit d’un combat pour lutter contre l’une des pires manifestations de la misère. Il s’agit d’un combat politique total car le choix de se prostituer n’est pas un choix individuel. C’est un choix de société.

Accepter que la relation physique puisse être autre chose qu’une question de désir, accepter qu’une catégorie de personnes soit mise au service sexuel d’autres personnes, c’est rendre prostituable l’ensemble de l’humanité.

Attelage improbable d’ultra-libéraux, de libertaires, de libertins mélangeant les sujets, d’anti-capitalistes et même, donc, de quelques figures féministes historiques largement minoritaires, les non-abolitionnistes ne voient pas en quoi cela serait choquant. Ils revendiquent le principe si cher aux féministes de « libre disposition de son corps » et demandent la réglementation de ce qui ne serait qu’un « travail » comme un autre, le fameux « travail du sexe ».

Le dernier argument imparable se trouve du côté des fatalistes, faussement réalistes, qui vident en réalité le politique de toute substance : la prostitution existe depuis la nuit des temps et on ne pourrait le faire disparaître.

Pourquoi ?

Quelle est cette loi implacable qui s’imposerait inéluctablement à l’humanité ?

Quelle est cette loi qui serait au-dessus de celles que la société décide de se donner ?

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 Bien évidemment, s’engager pour une politique abolitionniste en matière de prostitution, ce n’est pas éradiquer la prostitution par un coup de décret magique.

La prostitution se développe de façon tentaculaire car elle est le fruit de ce que le système patriarcal et la misère dans toutes ses manifestations, économique, sociale, culturelle, ont pu générer de pire. Loin de n’être en effet qu’un miroir grossissant de la domination des hommes sur les femmes, le système prostitueur cristallise tous les fléaux socio-économiques avec une violence rendue plus forte encore par l’ultra-libéralisme mondialisé.

Voilà pourquoi il est impératif que la gauche s’attaque à ce fléau avec ambition, pragmatisme et pédagogie.

2.      LA PROSTITUTION EST UN FAIT POLITIQUE ET LE PARTI SOCIALISTE DOIT LE TRAITER COMME TEL

 S’attaquer à la prostitution avec cohérence et détermination n’a donc de sens que si la société comprend qu’il s’agit bien d’une problématique politique qui ne relève pas de l’intime. Une problématique qui se déploie bien dans la sphère publique et non dans la sphère privée.

S’attaquer à la prostitution avec lucidité et efficacité n’est possible que si l’on intègre cette politique dans une politique audacieuse parce que transversale qui lutte contre la misère et la domination.

Seules des puissances publiques volontaristes travaillant de concert sur le plan international peuvent initier une déconstruction de cette réalité polymorphe qui semble insaisissable.

Et pour cause, dans la réalité comme en droit, la prostitution évolue dans un cadre aux frontières mouvantes et contradictoires, tiraillée qu’elle est entre des normes et des injonctions paradoxales.

Cette confusion explique la perception totalement schizophrénique qu’en a la société et qu’en donne la politique encore aujourd’hui.

Dans les faits

On estime qu’il y a approximativement 4 millions de personnes prostituées dans le monde dont 2 millions en Europe occidentale, 20 000 en France.

Des réseaux démantelés et pour la seule zone européenne, on compte chaque année plus de 200 000 femmes enlevées ou vendues dans les Balkans.

En France, 85% sont des femmes et 90% sont de nationalité étrangère.

En droit

La prostitution est définie par un décret du 5 novembre 1947 comme « l’activité d’une personne qui consent habituellement à des rapports sexuels avec un nombre indéterminé d’individus moyennant rémunération».

La France a instauré un système abolitionniste avec la loi Marthe Richard du 13 avril 1946, qui pose l’interdiction des maisons de tolérance sur le territoire national.

Elle a également abrogé les dispositions qui prévoyaient l’inscription des prostituées sur les registres spéciaux et l’obligation de se présenter à la police.

Le 28 juillet 1960, la France a ratifié la Convention abolitionniste des Nations Unies pour la répression de la traite des êtres humains et l’exploitation de la prostitution d’autrui du 2 décembre 1949. Depuis l’adoption des ordonnances n°60-1245 et n° 60-1246 du 25 novembre 1960, précisant les engagements pris par la France en application de cette Convention dite ‘abolitionniste’, et la suppression du fichier sanitaire, la prostitution est devenue une activité libre. Elle n’est donc pas considérée comme une infraction pénale.

Dans ce système, la prostitution n’est ni interdite, ni contrôlée, car elle relève de la sphère privée. Elle n’est pas un délit puisque le droit d’entretenir des relations sexuelles relève du droit au respect de la vie privée.

Cependant, la démonstration publique de celle-ci est condamnée pénalement ainsi que toute forme de reconnaissance et d’exploitation de cette activité.

D’autre part, en matière civile, le corps étant inaliénable, les contrats entre une personne prostituée et son client ne sont pas valables et sont donc frappés de nullité. Selon l’article 16-1 du Code civil, « chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ».

 Quel est le message envoyé ?

Où est la cohérence là-dedans, si ce n’est dans l’hypocrisie et la lâcheté qui cautionnent un système ultra-violent abandonnant purement et simplement les plus faibles à leur sort ?

Le délit de racolage est à ce titre la mesure symbolisant le mieux cette inconséquence : la personne prostituée est considérée comme une coupable qui peut s’exposer tant qu’elle « veut » aux pires dangers, pourvu qu’on ne la voie pas.

A l’inverse nous considérons que la personne prostituée, vulnérable, est toujours une victime.

3.      LA PROSTITUTION EST UNE VIOLENCE EXTREME QUI S’EXERCE SUR LES PLUS FAIBLES

La prostitution procède toujours d’une violence physique, psychique et/ou économique.

En dehors même du cas des traites internationales d’esclaves sexuels, lorsque l’on compile études sociologiques, psychologiques, rapports publics et rapports d’associations sur le terrain, on ne peut parvenir qu’à une seule conclusion : la prostitution est un non-choix en ce qu’elle procède toujours d’une violence psychique, physique, économique, sociale.

Itinéraires souvent brisés, carences affectives, problèmes familiaux, abus sexuels subis, incestes, viols, constituent en majorité les chemins menant, parfois très jeune à la prostitution : « Une prostituée sur deux a eu des contacts avec la prostitution dès son enfance et un tiers a eu une mère ou une parente prostituée. Un tiers des prostituées mineures enquêtées avaient été victimes de viol par des adultes connus d’elles entre l’âge de trois ans et de quinze ans… » d’après une étude récente. « Une grande majorité des prostituées a subi des abus sexuels au cours de l’enfance. Le pourcentage est énorme : 80% ». De multiples raisons expliquent ensuite le lien entre abus sexuels et prostitution : sentiment de dévalorisation de son corps, désir d’autodestruction ou de vengeance.

Les jeunes qui y entrent sont en grande majorité en état d’isolement, de rupture familiale, de précarité économique ou de dépendance aux drogues.

Le début d’une activité prostitutionnelle est rarement conscient ou délibéré. Un travail déguisé (tournages, séances-photos, petites annonces dans les journaux gratuits), une rencontre avec un groupe à risque (toxicomanes, marginaux), une rencontre amoureuse ou avec une personne qui est déjà dans la prostitution fournit souvent l’occasion à une personne déjà fragile psychologiquement d’entrer dans le milieu… Elle est à peu près toujours envisagée comme provisoire, comme un dépannage avant de devenir, dans de nombreux cas, permanente.

La prostitution produit elle-même une violence inouïe.

La très grande majorité des personnes prostituées subissent des pressions psychiques et affectives de la part des proxénètes bien-sûr mais aussi de la part des « consommateurs » et de la société dans son intégralité, comme la pratique qui consiste à retirer aux mères leurs enfants.

Au-delà, de nombreuses et nombreux psychologues et anthropologues au contact avec les personnes prostituées, insistent sur la méconnaissance ou la négation des conséquences psychologiques de l’exercice de la prostitution : perte de confiance dans les hommes, dommages sévères portés aux vies sexuelles intimes, perte du désir sexuel, désensibilisation progressive du corps, confusion sur l’identité sexuelle, rupture affective et sociale avec les autres, dissociation avec elles-mêmes par le recours massif et très majoritaire à l’alcoolisme, la toxicomanie et les tentatives de suicide.

Sortir de cette violence est, partant, extrêmement difficile : d’autant plus que la relation née de la prostitution entre la personne exploitée et les tiers (proxénètes, trafiquants, intermédiaires, clients, voisinage…) est génératrice d’une grande violence physique. Les coups comme sanctions pour manque de rentabilité ou tentations d’abandon, les mesures de représailles sur les familles sont monnaie courante. Toutes ces violences rendent les individus particulièrement vulnérables.

Les personnes prostituées ont entre 60 et 120 fois plus de risques de mourir assassinées.

En tant que violence absolue, la société ne peut donc pas continuer à la tolérer. La prostitution ne doit pas être « aménagée », donc cautionnée,  mais fermement combattue.

Seule la puissance publique est en mesure de poser un interdit législatif qui participe de l’éducation des mentalités en profondeur et qui soit le socle d’une loi-cadre ambitieuse.

4.      UN ARSENAL LEGISLATIF POUR UNE POLITIQUE TRANSVERSALE AMBITIEUSE

La pénalisation du client-consommateur est un élément incontournable…

La légalisation cautionne l’exploitation du corps humain et encourage le proxénétisme.

Réglementer la prostitution, c’est reconnaître que le corps est une marchandise et que l’on peut en organiser le commerce, véritable relais pour les réseaux de criminalité et de blanchiment d’argent. Cela ne permet pas de lutter efficacement contre le proxénétisme. Les proxénètes sont même les grands bénéficiaires du système puisque leur activité devient légale.

Aucune politique de prévention de la prostitution, et a fortiori de lutte contre les trafics, ne peut ainsi faire l’économie de la mise en cause du « client » prostitueur. Et parce qu’une mise en cause modérée, ambigüe, n’aboutit finalement qu’à brouiller le message et à légitimer certaines formes de prostitution, nous choisissons aujourd’hui d’inclure la pénalisation des « prostitueurs » dans l’ensemble des mesures nécessaires à l’abolition du système prostitutionnel.

Nous sommes cependant conscientEs qu’une pénalisation pure et simple est cynique et simpliste si aucune réflexion n’est menée sur la condition des personnes prostituées, sur le caractère inacceptable ou non de l’achat du corps d’autrui, sur la responsabilité directe des clients dans le trafic d’êtres humains et l’exploitation sexuelle de femmes et d’enfants.

Si aucun effort n’est donc fait pour responsabiliser les clients et changer les mentalités, la prostitution de rue ne va pas diminuer, elle va juste se déplacer dans des endroits isolés où les personnes prostituées seront encore plus exposées aux risques de violences.

Ce n’est pas la peur de l’humiliation ni de la sanction, mais une véritable prise de conscience, qui modifiera durablement le comportement des clients, potentiels ou actuels.

La pénalisation du client est donc incontournable car elle aura une vertu symbolique en posant de façon claire l’interdit éthique que fixe la société, une vertu pédagogique puisqu’elle permettra de faire comprendre que le client potentiel est le complice actif de la traite des femmes, une vertu pratique enfin, puisque la disparition de toute industrie ne peut venir que de la perte de ses débouchés.

Mais la pénalisation du client n’est bien entendu pas la solution en soi. Elle doit servir de marqueur pour la mise en place d’un dispositif transverse qui pourra se déployer dans une loi-cadre ambitieuse.

 … Dans une loi-cadre ambitieuse

Cette loi doit fournir des moyens conséquents. L’action qui en résultera ne pourra réussir que dans la condition où elle sera totalement intégrée à l’ensemble des politiques économiques, sociales, de santé et d’immigration sur le plan national, européen et international.

Elle doit s’articuler autour de 4 axes :

  • Prévention, sensibilisation, pédagogie pour informer l’ensemble de la population contre les réseaux, la notion de traite, les violences physiques et mentales, la patrimonialisation du corps, le patriarcat et la domination sur les femmes
  • Protection des personnes prostituées : suppression du délit de racolage et hausse des subventions aux associations, octroi de titres de séjour aux victimes du proxénétisme et de la traite des êtres humains sans condition de dénonciation dans le cadre d’un partenariat entre les personnes prostituées, les associations et les pouvoirs publics.
  • Raréfaction de la demande par la pénalisation du consommateur et par une lutte internationale réelle contre le proxénétisme et la traite des êtres humains : en veillant notamment à l’application réelle des textes (niveau des peines, confiscation des biens du proxénétisme…)
  • Mise en place d’une véritable politique d’alternative à la prostitution afin de rendre effectif le droit de chacun-e à ne pas être prostitué-e  et aider les personnes qui le sont à en sortir dans la dignité : Création de structures dédiées coordonnant hébergement, prise en charge médicale, suivi psychologique, suivi dans une formation diplômante, aide à l’insertion professionnelle,

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Nous sommes conscientEs que ces propositions nécessitent des moyens sans précédent, pour une mise en œuvre transversale sur une durée indéterminée.

Nous souhaitons que notre parti, le Parti Socialiste se dote de tous les moyens nécessaires pour devenir le relais pédagogique, médiatique, politique de ce combat.

Nous souhaitons que la France, par la voix de son nouveau gouvernement et par la volonté de sa nouvelle puissance législative, redevenienne moteur dans l’Histoire progressiste des droits de l’Homme et de la Femme.

Quel que soit le temps que cela prenne, les changements profonds qui en résulteront permettront à l’ensemble de la société de concevoir un rapport à l’autre radicalement différent qui ne puisse plus procéder de ces mécanismes archaïques de domination tellement bien tolérés qu’ils font encore, au XXIème siècle, dans notre pays et dans notre parti, l’objet de débats et de polémiques.

« Le difficile, c’est ce qui peut être fait tout de suite. L’impossible, c’est ce qui prend un peu plus de temps »

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